Tripoli ou le génie ignoré de l’espace urbain

A l’occasion d’un événement organisé par l’Université Saint-Joseph de Beyrouth le 9 juin 2023, qui recevait, dans ses locaux de Beyrouth, la ville de Tripoli à l’occasion de la sortie du livre « Tripoli au regard des siens et de ses environs », (Éditions Nasser Jarrous, 2023), Antoine Courban (Professeur à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth) rappelle que : “La question de l’espace urbain qu’illustre le destin de Tripoli, pose de manière lancinante et cruciale celle de l’unité politique dont le Liban a tant besoin”.

A l’occasion de cet évènement

Chacun des intervenants (le recteur Salim Daccache, Nasser Jarrous, Marie-Thérèse Fenianos bâtonnier de Tripoli, Maya Habib Hafez et le Dr Tarek Mitri, ancien ministre) a prêté sa voix à la ville pour insister sur une idée centrale : “l’espace urbain demeure, en dépit de tous les malheurs, une unité indivisible même si elle présente des spécificités et des fonctionnalités diversifiées qui peuvent et doivent être exploitées à bon escient”.

D’autres idées sont apparues :

  • La logique de l’unité politique : cette dernière se fait par la ville et non par la cohabitation de groupes humains divers sur un sol. L’unité politique n’a pas pour fondement le lien religieux, ethnique ou culturel.
  • La politique du vivre-ensemble : qui a pour fondement le lieu et la ville avec ses constitutions et ses lois. Tripoli est probablement l’unique localité libanaise qui possède une longue tradition de  “citadinité” comme l’a souligné le Dr Tarek Mitri. Aujourd’hui, grâce à son sens de la citadinité et de l’urbanité, Tripoli porte un message d’espérance dans un Liban non fragmenté mais convenablement gouverné conformément aux textes constitutionnels dont il dispose.
  • L’expansion centrifuge : qui a permis l’assimilation des régions rurales qui l’entourent. Beyrouth n’a pas eu la même histoire. Elle s’est développée par  “agrégation centripète” des régions rurales et non par expansion du centre urbain. Nombreux sont ceux qui résident à Beyrouth, mais tous ceux qui habitent la métropole du nord se disent qu’ils sont  de Tripoli. Cette ville a fait preuve d’un pouvoir d’assimilation.
  • Le génie immortel de la ville : le lieu par excellence de l’unité politique non segmentée en territoires d’hégémonie et de pouvoir. C’est ce génie de toute “ville invisible” comme le dit Italo Calvino.

Pour rappel historique :

  • Tripoli est l’une des échelles du Levant, siège dès 1536 du premier consulat de France suite au partenariat franco-ottoman contre leur ennemi commun, les Habsbourg. La fonction de consul est difficile à cerner. Elle oscillait entre celle de chef des marchands et celle de diplomate. Progressivement, elle sera réglementée par le pouvoir royal, grâce au Système Pontchartrain, ce qui accordera aux consuls certains privilèges.
  • Lors de la proclamation de l’État du Grand Liban en 1920, la ville de Tripoli fut réticente à intégrer cette entité politique construite sur les décombres de l’Empire Ottoman. Bruno Dewalilly (chercheur associé à l’Institut français du Proche-Orient) montre que Tripoli a certes subi la concurrence du port de Beyrouth, modernisé au XIX° siècle, mais que l’État du Grand Liban la coupait de son hinterland économique et humain. En compensation de son intégration au Grand Liban, elle reçut certains privilèges d’autonomie: disposer d’ordres des professions libérales, et bénéficier de l’autonomie de l’administration municipale du secteur immobilier.
  • La guerre civile libanaise et l’irruption des mouvements intégristes ont fini par instrumentaliser une image négative de la ville, celle d’une place-forte de l’islamisme politique et de l’intégrisme. La révolte de 2019 a corrigé quelque peu cette donne, en montrant Tripoli comme « reine de la révolution », ce qui n’a pas amélioré la paupérisation galopante.

Pour finir, voici quelques citations :

  • Dans leur récit de voyage Le Vilayet de Beyrouth, publié en 1889, Mohamad Bahjat et Rafik al-Tamimi louent la séduction de l’éclat naturel de cette ville : “Tripoli est sans conteste la ville la plus brillante de tout le littoral syrien […] Aucune autre ville de Syrie ne peut rivaliser avec l’éclat de Tripoli et s’enorgueillir de la somptuosité de son site et de ses paysages ainsi que de toutes les richesses qu’elle recèle. Damas ne possède pas, hélas, d’accès à la mer. Beyrouth elle-même, la reine des villes du littoral syrien, ne bénéficie pas d’une tradition aussi longue de la densité de tant de merveilles”.
  • Bruno Dewailly (chercheur associé à l’IFPO), déclare dans une conférence donnée en novembre 2013 :  “[…] je dois préciser que Tripoli m’a tellement passionné que … je me sens tout aussi Tripolitain que Lillois. C’est donc bien un Ibn el-Balad qui parlera ici et c’est pourquoi, j’emploierai le  “nous” et non pas le  “vous” ou le  “eux ” lorsqu’il s’agira de parler de  “nous, les Tripolitains”  […]” .
  • Antoine Courban (Professeur à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth) : Ceux qui souhaitent mettre fin au Liban unitaire peuvent méditer la vérité première qui affirme que l’unité du politique, c’est-à-dire l’unité du vivre-ensemble, se fait par la ville, par ses lois, ses constitutions et sa bonne gouvernance”.

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