L’étalement urbain en Afrique de l’Ouest : défaillance de la gouvernance urbaine ou conséquence de l’explosion démographique ?

L’étalement urbain, dans son expression la plus ordinaire, est une situation de plus en plus présente en Afrique, en particulier dans l’Ouest du continent. Mais l’impression qui semble dominer est celle d’une expansion incontrôlée et sans limite, conduisant à éloigner de plus en plus les populations des centres d’activités et à constater l’écart entre la population installée, les habitats qui se construisent et les infrastructures qui seraient nécessaires. Est-il possible d’identifier des causes, autrement dit de poser un diagnostic partagé par tous les décideurs élus et responsables des collectivités mais aussi acteurs de l’aménagement ? Des préconisations peuvent-elles s’envisager pour remédier aux difficultés ?

Dans les pays de l’Afrique de l’Ouest, les régimes fonciers sont assez proches. Au Mali, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, les codes domaniaux et fonciers stipulent que la terre appartient à l’État. En d’autres termes, l’État est réputé pouvoir organiser l’occupation du territoire, la répartition spatiale des activités, la compatibilité entre les usages du sol, l’accueil des populations… Mais les mêmes codes reconnaissent le droit foncier coutumier qui confère l’autorité sur le foncier aux chefs coutumiers. Il existe donc deux légitimités pour l’allocation des ressources foncières : celle de l’autorité politique nationale d’une part et celle des chefs de villages qui ont conservé la prérogative concrète d’attribuer des terres. Tant que la rareté des disponibilités foncières n’est pas ressentie, le flou entretenu par la double responsabilité est sans effet véritable. Mais dès lors que les besoins sont plus importants, notamment dans les espaces déjà urbanisés, la question de l’allocation foncière dualisme flou a des conséquences dans la gestion urbaine, surtout en ce qui concerne les acteurs en charge de l’attribution des terrains urbains et du respect des prescriptions des documents de planification urbaine. Or, la plupart des règles prescrites pour un développement organisé des villes sont à la fois inconnues des habitants et peu ajustées aux besoins en croissance.

Le résultat du décalage conduit à constater que les principales villes de la région présentent les mêmes évolutions morphologiques. Abidjan, Lomé, Ouagadougou ou Bamako connaissent en effet une urbanisation horizontale qui est à la fois le résultat d’une demande et d’installations en nombre dans des espaces non programmés et non dotés des infrastructures indispensables. Les causes de cet étalement urbain sont multiples mais doivent être précisément décrites pour comprendre les ressorts d’une transformation urbaine problématique.

Le premier problème résulte du nombre d’habitants qui ne cesse d’augmenter. Les centres-villes sont surpeuplés et ne sont plus en mesure d’accueillir les nouveaux citadins tandis que le coût d’accès au logement augmente considérablement. À la fois, le cadre de vie est moins agréable et les ménages à revenus modestes ne peuvent accéder à des quartiers qui seraient pourtant bien localisés pour leurs activités. Ce sont donc ces ménages modestes qui sont contraints de s’éloigner des centralités pour espérer s’installer à un coût supportable. Mais d’autres coûts, de mobilité et d’accès aux aménités les pénalisent plus encore. Leur réalité vécue diffère donc de leurs espérances.

Le manque de disponibilité de l’espace est donc l’autre difficulté qui explique les choix de la périphérie par rapport aux centres-villes. Devant des centres-villes saturés, les ménages qui ont des revenus suffisants peuvent s’en extraire et recherchent un autre cadre de vie plus ouvert, avec des aménagements et un niveau de confort plus en phase avec leurs aspirations. De nouveau, c’est en périphérie des villes que des résidences sous forme d’habitats pavillonnaires se développent promettant à la fois plus d’espace, un lien étroit à la nature, un accès rapide au centre ville grâce aux moyens de transports motorisés (et particulièrement la possession d’une voiture individuelle).

Les espaces verts et agricoles sont peu à peu grignotés, malgré les projections des documents de planification comme les schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) ou les plans d’occupation des sols (POS) qui tentent d’en limiter la « consommation ». Or, cette artificialisation détruit des emplois, pèse sur la production, en particulier le maraîchage, et réduit les espaces vivants et protecteurs autour des villes.

Ainsi, la plupart des pays africains vivent une périurbanisation sans maîtrise, en partie illégale, mais non sans conséquence. La distance entre domicile et lieu du travail ne cesse d’augmenter, provoquant une augmentation du trafic, une augmentation du temps de déplacement, une augmentation des coûts et finalement une congestion des principaux axes de circulation. Par ailleurs, nombre de nouveaux quartiers sont sous-équipés et mal reliés. Or, ces quartiers précaires, observés dans pratiquement toutes les villes des pays de cette partie de l’Afrique, constituent un défi majeur pour tous les acteurs de la gestion urbaine, alors que les conséquences du changement climatique et des transformations sociales et économiques sont déjà ressenties et promettent d’atteindre plus durement les ménages les plus fragiles.

Y a-t-il une fatalité à cet étalement urbain incontrôlé et à ses effets ? Si les acteurs de la gestion urbaine peinent, dans la plupart des cas, à trouver des solutions d’amélioration, c’est qu’ils se voient trop souvent cantonner à imaginer une solution grâce à une meilleure gouvernance. Or, cette seule disposition, qui permettrait par exemple de disposer de meilleures capacités coercitives pour faire respecter les orientations de la planification, doit pouvoir être complétée par d’autres mesures :

  • Anticiper davantage la croissance de la population et de ses besoins pour que la réalité des difficultés soit connue ;
  • Organiser une répartition des services, la création de centralité secondaire pour réduire la nécessité des déplacements ;
  • Prévoir avec ambition non seulement l’urbanisation mais aussi la place de la nature, partout dans la ville, en favorisant les ombres, les circulations d’air ;
  • Prendre inspiration de l’existant, du patrimoine vernaculaire qui a su apporter des réponses dans un cadre de vie particulier auquel les principes d’un urbanisme « moderne » n’est pas adapté
  • Enfin, mobiliser les habitants dans la fabrication et la gestion de leur ville pour améliorer au quotidien et devant chez soi le paysage…

Toutes ces propositions traduisent un changement dans les doctrines en œuvre, une attention à tous les habitants et une évolution des objectifs. Plutôt que de reproduire les erreurs commises ailleurs, sans doute les villes de l’ouest africain ont-elles l’opportunité de trouver leur propre chemin de développement au service de leur population.

Signataires :

  • Mamadou BALLOUrbaniste (DEIAU), chargé d’études à l’Agence d’Aménagement et d’Urbanisme Abdaty KOUNTA à Bamako.
  • Lionel PRIGENT, Urbaniste et Économiste, Professeur à l’Université de Bretagne Occidentale, Directeur du Laboratoire de Géoarchitecture Brest.

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