Les sciences humaines et sociales : le socle de la formation des urbanistes africains

Dans cette tribune, Christian Kalieu (Enseignant d’urbanisme à l’École supérieure des sciences de l’urbanisme et du tourisme de l’Université de Bertoua au Cameroun), dresse un constat alarmant : les villes africaines sont malades et doivent être soignées. Si beaucoup pointent du doigt les pouvoirs publics, l’auteur plaide pour une approche plus profonde : renforcer la formation des urbanistes et s’appuyer sur les sciences humaines et sociales. La création, en 2022, de l’École supérieure des sciences de l’urbanisme et du tourisme d’Abong-Mbang illustre cette volonté de repenser la cité africaine par le savoir et la compétence.

 

Les mots pour décrire les maux des villes africaines sont toujours des superlatifs !

  • Exode rural massif

  • Urbanisation galopante

  • Construction anarchique

  • Quartier précaire

  • Bidonville surpeuplé

  • Dépotoir sauvage

  • Transport clandestin

  • Étalement tentaculaire 

En réalité, nos villes sont « malades », il faut prendre le temps de les panser. Oui, le mot est lâché, il faut soigner les villes africaines. Pour l’habitant, le coupable est tout désigné, les pouvoirs publics sont responsables de toutes ces « maladies ». L’État doit agir, puisqu’il a tous les moyens à sa disposition. Il suffit de les mobiliser pour traiter la ville. 

Seulement, la réalité est loin d’être aussi simple. Petit rappel historique pour soutenir notre propos, certaines villes africaines portent encore les séquelles de la colonisation, à savoir une ségrégation spatiale, encore bien visible entre la ville blanche et la ville noire. Cette fragmentation est à l’origine de nombreux dysfonctionnements actuels. La ville blanche, jadis exclusivement réservée aux colons est progressivement devenue suivant les pays, le centre-ville, le quartier riche, le centre administratif ou la zone commerciale.  C’est le cas à Douala, la capitale économique du Cameroun, où coexistent sans jamais se toucher deux chefferies du Canton Bell, Bonapriso, la « belle » et New-Bell, la « poubelle ».

New-Bell est un quartier populaire dépourvu de toutes les commodités de la ville blanche, éclairage publique, route large et bitumée, alignement d’arbres le long des voies, majestueuse villa, espaces de détente, plan en damier et rue adressée. On se croirait dans un autre pays si notre séjour au Cameroun se limitait à Bonapriso. 

Pour avoir des Bonapriso, il faut le vouloir et le penser. Bonapriso n’est pas un quartier spontané, il est le résultat d’un plan d’aménagement initié par les allemands, reproduisant à Douala, le modèle type de la ville occidentale. La population autochtone de Bonapriso a été prié en 1913 à la pointe de la baïonnette, de libérer les lieux et de s’installer à New-Bell après leur expulsion par les autorités allemandes de Joss Plate, leur résidence traditionnelle. 

Ce détour historique, pour rappeler la nécessité de penser les villes africaines à l’heure du   «développement raisonné ». Cette double mission est confiée à l’urbaniste, profession mal connue, souvent associée au génie civil ou à l’architecture. Si les deux spécialités sont indispensables pour la construction des villes, la démarcation se fait dans la méthodologie et l’échelle d’action. L’urbaniste se déploie sur la micro et la macro échelle, il touche à tous les aspects de la vie du citadin, avec pour ambition de répondre à tous ses besoins. Objectif rarement atteint tant les attentes sont croissantes. 

La cité africaine est un « patient » dans un état critique. Les décideurs ont engagé de vastes réformes pour une meilleure gouvernance des territoires. En plus des textes attribuant davantage de pouvoirs aux élus locaux dans l’administration de la cité, une grande innovation silencieuse a été engagée pour soulager « le patient ». 

La formation des urbanistes est devenue la priorité numéro en Afrique. Au Cameroun, la création en 2022, de l’école supérieure des sciences de l’urbanisme et du tourisme à Abong-Mbang est une première réponse. Cette école d’urbanisme est la toute première, destinée à la formation des médecins de la ville capable de panser nos quartiers, nos villes et nos territoires. L’état camerounais par ce choix a décidé d’amorcer la métamorphose du pays par la formation des personnes hautement compétentes à même d’inverser la courbe actuelle.  

Doter des ressources financières, techniques et technologiques, aucun développement urbain harmonieux, n’est envisageable, sans urbanistes qualifiés. Depuis 1975, L’École Africaine des Métiers de l’Architecture et de l’Urbanisme contribue à la formation des urbanistes africains, toutefois, chaque État doit se doter d’un institut d’urbanisme pour accélérer la reconstruction des villes africaines. Si la colonisation a effacé les repères et pratiques spatiales endogènes ; Il est nécessaire d’aménager nos territoires sur la base des enjeux actuels, sans trahir notre identité. Cela passe par la mobilisation des sciences humaines et sociales.

Il faut apprendre de l’histoire, si la ville blanche a existé, c’est bien parce qu’elle a été pensée et planifiée. Il faut multiplier les écoles et instituts d’urbanisme à l’échelle du continent, si on veut produire des territoires vivables et fabriquer des espaces agréables. Ces établissements de formation doivent s’inspirer des écoles occidentales, américaines, asiatiques tout en restant ancrées dans la réalité africaine. Une ville doit répondre aux aspirations de ses habitants. Cette posture fixe le cap, celle de  «construire avec » les futurs bénéficiaires, les usagers réguliers et irréguliers. Dès lors, l’urbaniste ne bâti plus des villes, il construit des espaces de partage, de communion et de rencontre. Il mobilise sans hésiter les sciences humaines et sociales dans tout le processus de conception du territoire. Au-delà des questionnaires, des réunions publiques, l’objectif est de saisir l’essence des habitants et l’âme des territoires. Les sciences humaines sont au cœur de la réussite des projets urbains, les futurs urbanistes dès le début de leur formation, doivent être plongés dans leur environnement, pour le connaitre, le comprendre et enfin le transformer dans le respect des mœurs et coutumes locales. 

L’intégration de la dimension humaine dans le processus de création spatiale produira des villes, dont les habitants seront les premiers gardiens et défenseurs. Si l’urbaniste reste le chef d’orchestre de la transformation urbaine, c’est en l’occurrence du fait de sa capacité à entendre les attentes des populations et à les traduire en projet de territoire. Une ville est faite pour ses habitants, si on les exclut dans le processus, nous produirons des espaces malades et inadaptés. D’ailleurs certains projets échouent suite à la mise à l’écart du facteur humain ; Illustrons-nous par le commerce de micro-détail le long des voies de transport. Cette activité de proximité directe avec le client est une caractéristique des rues africaines qualifiées d’animées, les multiples tentatives pour les éradiquer ont toutes échoué, face à l’abnégation et à la résistance acharnée des commerçants luttant pour leur survie. Il en est de même des motos-taxis, ils sont indésirables, mais pourtant incontournables, il devient urgent de l’accepter et de l’intégrer pour une cohabitation pacifique avec les autres usagers de la route. Nier, cette variable humaine, conduira immanquablement à un échec, il faut former les urbanistes africains à la production des villes pour leur semblable loin des modèles importés, qui eux répondent aux attentes de leur population.  

La transformation des villes africaines passera par la formation d’une élite intellectuelle apte à panser les problèmes actuels et à penser les besoins futurs.

Devenir urbaniste, c’est devenir humaniste !

 

Publiée une fois par mois, la tribune “Urbanisme en Francophonie ” se propose de recueillir les témoignages et les réflexions d’une personnalité autour d’un sujet de son choix. Cet espace ouvert permet aux auteurs de partager librement leur vision du monde et de contribuer à ce récit original. Tandis que le monde doit organiser sa transition vers un développement plus respectueux des personnes, des ressources de la planète et de sa biodiversité, comment penser et construire les villes ?

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