Les bidonvilles, ces villes bidons qui défient l’Afrique

Dr Beaugrain DOUMONGUE (Socioingénieur, ingénieur civil, physicien du bâtiment, expert en intelligence stratégique, président de Construire pour Demain, fondateur de StratCo et directeur du développement du Groupe scientifique SIGMA), partage sa réflexion sur le sujet dans une chronique, parue le 22 mars 2024, dans Financial Afrik (journal spécialisé dans l’information financière en Afrique) : Dans les taudis africains et d’ailleurs, on observe des cadres de vie qui racontent des décennies d’échecs de politiques publiques, la faiblesse des systèmes sanitaires et sociaux, ou l’immensité des défis d’inclusion qui talonnent les États pour sortir des populations entières de l’extrême misère d’un monde déserté par la justice. Il faut oser un regard froid et honnête sur ce poison négligé des villes africaines”.

Généralement séparées des villes car formant un anneau périphérique qui les entoure, les bidonvilles, ces zones d’habitat spontané, concentrent des densités d’occupation qui dépassent souvent les 100hab/ha. Ce sont des centres de métissage par excellence qui accueillent à la fois des étrangers fuyant des situations de crise ou en recherche d’opportunités, et des autochtones. On y trouve également des ruraux issus de l’exode, autant que des natifs de ces mêmes lieux.

A bout de patience et d’espoir, beaucoup s’évertuent à tracer une destinée dans un enchevêtrement de bicoques en tôles rouillées, dont la couleur macule les murs de longues traînées de coulures ; et de bâtisses parfois au bord de l’effondrement. Toujours étriquées mais surpeuplées, ces constructions spontanées sont généralement poreuses du fait de leur exposition aux rues, et rarement dotées d’installations sanitaires. Entre murs sales et fissurés, mousses, moisissures et champignons en pleine prolifération ; toitures délabrées, pièces ruisselantes, ordures ménagères et eaux usées jetées dans les rues ; rareté de l’eau ; installations électriques bricolées quand elles existent ; atmosphère étouffante, etc. ; on n’en finit pas de citer les ombres au tableau.

Les jours passent et les lieux s’impriment dans les esprits, deviennent des gestes, des mots, des habitudes. Le taudis est désormais un « chez moi ». Bon gré, malgré, des personnes y vivent et inventent une société intra-muros, faite d’appartenance, de solidarité, mais également de l’adversité et des mésententes qui parfois et même souvent, mènent au crime. Certains d’ailleurs, désirent y rester, peut-être parce qu’ils y ont passé tellement de temps que même au seuil d’une vie nouvelle, la perspective d’une quelconque reconfiguration les saisit de vertige, et les assomme. Parce que leur unique repère c’est le taudis. Les bidonvilles s’érigent ainsi, et on ne le constate que trop souvent, en véritable mode de vie.

Si la majorité des bidonvillois est acclimatée au « système D », dans une vie bricolée à l’ombre, dans les failles de la ville ; il est possible de l’extraire de l’emprise des logements clandestins, ou pire, de « l’inhabitable » au sens de Joy Sorman, en activant davantage le levier crucial que représente l’insertion par le logement. Au-delà de répondre au besoin fondamental de sécurité, conforme à l’esprit de la philosophie des besoins humains proposée par Abraham Maslow en 1943, alors que celui-ci érigeait sa pyramide ; il est question de garantir au plus grand nombre, les espaces de vie auxquels ils ont droit, en les boutant hors de l’indécence et de l’insalubrité ; bref, de l’infâme. Car l’infâme, il faut l’écraser, pas seulement selon une acception voltairienne, mais aussi et surtout en termes de dignité humaine, stricto sensu.

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