Le retour de l’économie au premier plan des enjeux : une chance historique plutôt qu’un retour cyclique

Ces derniers mois ont été riches en événements de toutes natures : des changements géostratégiques remettent en question les contextes passés, notamment au Sahel ; des coups de chaud, des tempêtes, des incendies, des inondations font une preuve supplémentaire d’un dérèglement climatique qui atteint l’Europe et le Canada après l’Afrique.

Les problèmes en débat dans nombre de pays portent sur la disponibilité des ressources : du blé pour la Tunisie, le Maroc ou la Mauritanie, de l’énergie et des terres cultivables ou urbanisables en Europe. Les tensions internationales ajoutent leur lot de difficultés aux efforts attendus de la part de l’ensemble des nations. Les grandes conférences internationales se succèdent et donnent l’occasion d’engagements et de plans. Le 6 septembre 2023, le Premier Sommet Africain pour le Climat se terminait par une déclaration commune pour investir dans les énergies renouvelables et mieux mobiliser les ressources propres du continent. Mais la COP 27 à Charm el-Cheikh (Égypte) a mis en évidence l’écart entre les déclarations d’intentions des chefs d’État et les applications, si bien qu’il faut craindre dans un proche avenir une grave montée des inégalités, c’est-à-dire une précarisation supplémentaire, partout dans le monde, des populations qui sont déjà les plus fragiles.

Tous ces sujets ont en commun d’avoir remis, au cœur des enjeux, les questions économiques. Ce sont des emplois, des revenus, de meilleures conditions de vie et des perspectives d’avenir qui sont réclamés avec le plus de force dans plusieurs capitales des pays en émergence ou en développement, notamment en Afrique. Ce sont les effets de la crise économique qui ont mobilisé les manifestants de Beyrouth au printemps dernier. Et en Europe, les risques de pénurie d’énergie ont suscité non plus seulement des inquiétudes mais des difficultés financières pour nombre de ménages appauvris par une inflation retrouvée.

De fait, l’économie semble devenue incontournable dans les analyses et les débats qui tentent d’expliquer les évènements en cours mais qui doivent aussi mobiliser experts, politiques, acteurs économiques et habitants autour de solutions. Mais ce ne sont plus des théories générales, illustrées par des formules mathématiques, qui dominent les discussions. L’injonction de faire plus de place aux marchés, d’organiser une concurrence internationale et une spécialisation des activités économiques par grandes régions du monde n’a pas tenu ses promesses. Même si la place du libéralisme dans toute sa diversité, reste un paradigme dominant, ses contempteurs sont de plus en plus nombreux pour en explorer les limites.

Au sein des villes, les critiques réclament d’en finir avec la quête permanente de profits égoïstes qui dégradent les conditions d’habitat, d’emploi, de consommation, de santé et parfois même d’enseignement et de réalisation des services les plus élémentaires. La philosophe Cynthia Fleury constatait avec effroi dans un récent entretien à un journal[1] combien « nos sociétés sont devenues des fabriques systémiques de situations indignes ». Des alternatives se font jour pourtant : de nouveaux objets apparaissent et se diffusent très rapidement comme de nouveaux modes de fabrication de valeurs plus larges, une meilleure prise en compte des ressources, de leur circulation et de leur lien aux territoires réels. Pour les villes, il est question d’agriculture urbaine, de réindustrilisation, de circuit court, d’économies d’énergie, d’aide à la transition, en somme d’une économie circulaire qui vient contrarier les processus industriels de l’économie linéaire. Ce sont aussi des nouvelles propositions de logements et de consommation, de solidarité et de mobilisation collective autour de projets partagés.

Dans toutes ces situations, il ne s’agit plus de poser un regard général qui rejoindrait une théorie générale mais de retrouver une situation localisée concrète car l’ensemble des problèmes soulevés a la capacité à porter sur des enjeux précis, localisés et évidents en termes d’aménagement du territoire, d’impacts spatiaux, d’interaction des politiques publiques, d’implication des populations et des acteurs.  Et très concrètement, ce sont des questions d’urbanisme, d’organisation des activités et de réinvention des cadres de vie qui redeviennent les enjeux économiques. La place des villes et de leurs représentants n’en devient que plus essentielle.

Quelques ouvrages publiés récemment permettent de nourrir ce constat, de manière directe et indirecte. Ainsi, l’ouvrage d’Achille MBembé qui invite à dépasser l’individualisme et les effets pervers des technologies pour inventer une communauté terrestre capable de communier avec le vivant. Danouta Liberski-Bagnou mobilise les leçons africaines sur la manière d’habiter la terre en réinvestissant une dimension locale à la terre, une économie plus large que sa simple capacité productive. Magali Talandier signale la place des emplois métropolitains ordinaires dans la vie de nos territoires. Enfin, Thomas Piketty et Julia Cagé proposent une histoire comparée des opinions politiques (au travers du vote) et des conditions économiques en prenant comme terrain d’expérience la France depuis 200 ans. Les deux auteurs montrent ainsi comment ce sont bien les situations de précarité et les inégalités qui fabriquent les attitudes de rejet et le ressentiment.

Leur conclusion qui plaide pour l’importance de l’engagement et le rôle des politiques publiques, doit inspirer les Maires. Elle rejoint l’avertissement de Willy Brandt, Chancelier de la République fédérale d’Allemagne, Prix Nobel de la Paix, et Maire de Berlin Ouest, quant à notre responsabilité à agir : « Ne l’oubliez jamais : celui qui laisse se prolonger une injustice ouvre la voie à la suivante ». Une analyse sereine et comparée des réalités et des opportunités ouvre la voie à des politiques publiques ajustées et ancrées dans une perspective plus proche des besoins des populations.

[1] Le Monde, 7 septembre 2023.

Signataire :

Alors que le monde doit organiser sa transition vers un développement plus respectueux des personnes mais aussi des ressources de la planète et de sa biodiversité, comment penser et construire les villes ? La tribune Urbanisme en Francophonie, publiée une fois par mois, vise à rassembler les témoignages et les réflexions de ce récit original.

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