L’architecture en Tunisie à l’épreuve de la citoyenneté

Selon Ilyes Bellagha, Président de l’Association « Architectes… citoyens » et Fondateur d’Archissime conception, il est temps qu’en Tunisie les autorités posent le problème de l’habitat en termes de conception, plutôt que d’aménagement du territoire, pour que les citoyens puissent y vivre, y produire et s’y épanouir.

L’architecture est le grand livre de l’humanité, l’expression principale de l’homme à ses divers états de développement, soit comme force, soit comme intelligence” Victor Hugo.

Pour que le territoire soit intelligible, il considère que deux conditions sont requises :

  • Il doit être éclairé du dehors car le territoire est à l’espace ce que la statue est au bloc de pierre. C’est une œuvre.
  • Il doit être habité, ce qui sous-entend qu’il est plus qu’un espace habitable, car “habiter” est un concept différent de celui de “bâtir” ou de “se loger”. Habiter un territoire est une activité primordiale et constitutive de l’être humain car c’est le processus de construction des individus et des sociétés par l’espace ainsi que de l’espace par l’individu et la société. Un rapport d’interaction où de l’un résulte l’autre. Nous habitons l’espace et c’est pour cela qu’il nous habite aussi.

Habiter ne peut pas être restreint à l’espace privé

Selon lui, le territoire n’est pas que la géographie physique d’un pays car il la dépasse souvent. Il est l’être qui donne forme à des œuvres, réussies ou ratées, et ou habiter ne peut pas être restreint à l’espace privé.

Il est l’objet de sollicitudes et de régularités, de soins et de conformités. En même temps, il excite nos rêves et suscite notre apaisement. En épousant cette conception, il estime que ça aide à comprendre le phénomène de la “harga” et de la pression sur les services des visas des pays étrangers. Le problème n’est pas seulement économique et social, il est aussi existentiel, c’est le problème de ceux qui cherchent un territoire plus habitable. L’habitant en crise est celui qui ne trouve pas un territoire qui l’enveloppe et le sécurise. 

La politique de l’habitat en Tunisie

La politique de l’habitat en Tunisie et par conséquent celle de l’aménagement du territoire, inspiré du second empire français, a réduit les citoyens à des moutons et érigé l’administration en berger. L’addiction des Tunisiens aux espaces et réseaux virtuels peut être l’expression de ce déracinement.

Il estime, qu’une chute qualitative de l’espace urbain est ressentie après l’époque coloniale dans toutes les agglomérations tunisiennes. Cette détérioration de l’espace urbain fragilise la structure urbaine des villes tunisiennes. “C’est comme si nous arrachons les pages du grand livre de notre patrimoine“.

Pour lui, les architectes sont les principaux responsables de cette situation par démission ou par compromission. Mêmes s’ils ne sont pas les seuls acteurs du bâtiment, ils restent les premiers responsables de la configuration du paysage urbain des villes et de tous les espaces viables.

Il considère que l’Ordre des architectes, qui aurait dû s’appeler l’Ordre de l’architecture, s’est délester de sa mission première à savoir : l’urbanisme. Mission dont se sont emparés les géographes et sociologues. Quel rôle reste-t-il aux architectes ? De bâtisseurs, ils ont été réduits au statut de designer. La formation des architectes a par ailleurs été détruite depuis que l’Institut technologique d’art, d’architecture et d’urbanisme a été scindé en deux.

Vers une démarche plus participative

Selon lui, il faut revoir la gouvernance, et non l’aménagement, pour sortir de cet engrenage du territoire en développant une culture de la participation.

Il s’interroge sur :

  • le périmètre du territoire soumis à la négociation pour en faire le diagnostic et chercher à savoir quels sont les nœuds relationnels existants dans un système global : localité-région-pays,
  • les contraintes et les éléments qui ne pourraient pas évoluer : budget, calendrier, engagements pris, choix politiques, valeurs, lignes rouges…
  • le niveau de délégation de pouvoir aux personnes et les parties prenantes.

Quatre questions doivent donc être posées :

  • Quel est le niveau de participation pertinent ?
  • Quel degré de pouvoir l’État est-il prêt à déléguer ?
  • Quel investissement le public est-il prêt à consacrer ?
  • Quel niveau de responsabilité les participants sont-ils prêts à assumer ?

Ainsi les relations entre le pouvoir central et communal ne seront plus structurelles et pyramidales, mais systémiques et reposant sur des retours d’expérience.

 

 

 

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