Gaëtan Siew, architecte-urbaniste Mauricien

Gaëtan Siew, de par sa vision d’architecte mauricien aux expériences variées dans les différents espaces du monde, nous permet de mieux faire la distinction entre l’approche pragmatique et financière anglo-saxonne d’aborder la ville et l’approche sociale, culturelle et patrimoniale francophone basée sur la solidarité naturelle. Selon lui, les Maires doivent trouver un équilibre entre ces deux approches pour adapter les projets aux réalités des différents territoires. L’île Maurice, étant bilingue, en est un exemple car on a à la fois cette influence importante de la francophonie mais avec un pragmatisme anglo-saxon, qui permet de réaliser des essais grandeur nature, qui sont exportés sur le continent africain.

A propos de son rapport à la francophonie, il nous dit :

Je viens de l’Île Maurice et j’ai eu l’occasion de faire mes études d’architecture à Marseille en France. Bien que je sois entré à Maurice, très vite j’ai été happé par des architectes africains et francophones, qui m’ont poussé à m’impliquer davantage au niveau de l’Afrique. Jai été élu Secrétaire Général de lUnion africaine des architectes à une époque il fallait faire le lien entre les architectes francophones et anglophones. Ce sont eux qui mont poussé à l’Union Internationale dont je suis devenue le président. À la suite j’ai eu l’occasion de beaucoup travailler sur le continent africain. Ce bagage que j’avais, issu du fait d’être à la fois francophone et anglophone, m’a porté de le long de ma carrière et m’a ouvert un réseau de connexion important dans le monde”.

Il nous raconte son expérience mauricienne et internationale :

Ça peut paraître un peu étonnant, venant de si loin, de l’Île Maurice, qui est un petit pays mais petit à petit, l’ile Maurice est devenu pour le continent africain, le petit frère de l’océan Indien, le petit frère francophone, et cela nous a beaucoup aidés, car comme je vous le disais un peu plus tôt, chez nous l’échelle du pays est presque l’échelle d’une petite ville qui nous permet de faire des essais grandeur nature, de les tester et ensuite de les exporter. Différents pays d’Afrique (Bénin, Sénégal, Ghana, Burkina Faso…) font appel à nous à l’export. Ce qui fait notre différence, c’est qu’on propose une solution urbaine qui n’est pas juste technique ou sociale mais qui est aussi juridique et financière. Cette approche6là nous a permis d’accéder à certains projets qui avant ne pouvait pas se faire dans des environnements où l’investissement est rare et difficile”.

Pour Gaëtan Siew, l’espace francophone véhicule un certain nombre d’intérêts communs et de valeurs communes, qui fait que c’est un espace particulier qui est amené à se confirmer et à se développer davantage.

J’ai aussi travaillé dans d’autres pays anglophones (Tanzanie, Kenya, Ghana) et je peux voir la différence dans leur manière d’aborder la ville. Ce qui manque et que l’on retrouve en revanche dans les pays francophones, c’est qu’il y a un esprit de solidarité, une approche sociale et culturelle et spécifique au patrimoine qui est moins mercantile et financière que dans les pays anglo-saxons dont le profit et le calcul des bénéfices déterminent la vie ou la mort des projets. Si j’observe les villes francophones matures (éducation, transport, travail), elles aspirent à une culture, un patrimoine, une forme de bien-être et de qualité de vie que je trouve que l’espace francophone à mieux réussi que les autres villes. Si je prends l’exemple des centres des vieilles villes européennes, elles sont spontanées et optimisent l’espace, ce qui fait qu’aujourd’hui on se perd dans le bon sens dans ces villes. C’est cette errance dans la ville qui la rend belle, plus vivante et plus à l’échelle de l’humain“.

Selon lui la francophonie se caractérise par sa transversalité.

Cette ouverture d’esprit que l’on peut avoir sur tout sujet, depuis le cinéma, la gastronomie, la mode, la culture…, tout est lié et cette transversalité pour moi exprime bien la notion de la francophonie. C’est l’idée d’un espace plus qu’une langue, un espace qui comprend beaucoup de choses : un réseau, des compétences, des échanges, des expériences, des valeurs et aussi une ouverture d’esprit et un intérêt pour la grande diversité de toutes les cultures et de toutes les histoires. Fort de tout ça, on nourrit quelque chose qui nous donne un regard différent sur ce que l’on fait après. La francophonie a une telle ouverture vis-à-vis d’autres cultures que toutes ces mobilités/immigrations, enrichissent le tissu urbain et culturel d’une ville et ces échanges-là sont bénéfiques en toutes choses “.

Cette francophonie est exposer à un danger.

Le danger est interne car la jeune génération trouve qu’il est mieux et plus facile de s’exprimer en anglais. Ce déplacement de langue engendre un déplacement de la réflexion et de la culture qui est derrière, puisque parler une langue ce n’est pas juste mettre des mots pour faire une phrase et s’exprimer, c’est un mode de réflexion et un mode d’aborder les sujets et les problèmes. Mais il ne faut pas tomber dans le piège de la langue. Ce nest pas le français quon exporte, cest un ensemble de choses qui fait quon a des modèles et des valeurs culturelles, sociales et environnementales en commun. Cest ce biais-là quil faut exporter“.

Plus que le partage d’une langue, l’espace francophone en devenir, doit selon lui, permettre le dialogue, le partage de valeurs et des expériences vécues pour éviter de reproduire les mêmes erreurs. Pour porter la francophonie, le rôle des Maires serait de trouver un juste équilibre entre :

L’attitude naturelle et ouverte sur le social, l’environnement et le patrimoine, soit une solidarité naturelle vis-à-vis de la société et des couches les plus difficiles et une dose de pragmatisme, technique, juridique et financière. La francophonie deviendrait un espace de dialogue, de partage de connaissances, de compétences et d’expériences vécues, ce qui a marché et ce qui n’a pas marché. Souvent même nos expériences malheureuses sont des expériences utiles pour dautres pour ne pas faire les mêmes erreurs. Dautres pays plus développés que certains pays africains, nont pas connus ça, mais cest ce partage-là qui est intéressant. Cet espace francophone devrait le permettre davantage.

Pour ce faire, l’AIMF pourrait être l’initiateur d’un observatoire urbain, qui est tout l’enjeu de l’initiative Urbanisme en Francophonie.

Si on avait un observatoire urbain de toutes ces villes africaines, une compilation des informations, projets et politiques d’urbanisme qui ont marché ou non, on arriverait à mutualiser l’ensemble de ces connaissances et à des solutions plus justes, efficaces et adaptées aux circonstances des différentes villes”.

En étudiant à Marseille, après avoir fait formé en anglais jusqu’au baccalauréat, il a découvert une chose importante dans l’approche francophone de sa formation à l’architecture et à l’architecte qu’il allait devenir.

Cest le champ dintérêt que portent la langue française et la francophonie sur tout sujet. Ce n’est pas un domaine spécialisé mais un domaine où tout intéresse l’architecture depuis son histoire, la géographie, la sociologie, finalement tous ces aspects qui en sciences humaines nous semblaient importants. À l’époque jétais de formation anglosaxonne, je navais pas réalisé limportance que ça pouvait avoir et que ça allait avoir sur tout le reste de ma carrière et de ma profession. On est plus des spécialistes, mais plutôt des professionnels qui vont respecter ces tendances et ces difficultés, ces qualités et ces diversités”.

Quelques mots sur sa méthode de travail.

Ma première démarche avant d’aller sur place, c’est d’avoir un collaborateur sur place qui compile les informations, grâce auquel on s’approprie la connaissance locale, on connaît les difficultés qu’il y a et on y est préparé. Ensuite, on visite la ville avec les autorités, collaborateurs techniques… Souvent on a nous-même une grille de réflexion qui nous oblige à vérifier tous les points pour aborder les sujets. Par ailleurs, je travaille beaucoup avec l’ONU Habitat qui a un nouvel agenda urbain et qui devient une grille de travail nous permettant d’aborder les différentes problématiques des villes. Souvent il y a des récurrences dans les problématiques des villes (mobilité, environnement, gestion des déchets, logement social…), à des échelles différentes et à des priorités différentes”.

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Réalisés avec différentes personnalités francophones (écrivains, intellectuels, acteurs de la fabrique de la ville, artistes…), les entretiens Urbanisme en Francophonie interrogent le lien entre urbanisme et francophonie pour faire ressortir les spécificités des villes francophones et leur apport pour construire la cité de demain. A la fin de chacun d’eux, nous découvrirons une nouvelle carte postale de l’espace francophone proposée par l’interviewé.

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