Faire du patrimoine, matériel ou immatériel, une ressource vivante au service d’un développement équilibré est au cœur de cette nouvelle tribune signée par le Dr NGUYEN Thai Huyen (Architecte-urbaniste et Enseignante-Chercheure à l’Université d’Architecture de Hanoi). Invitée et modératrice lors du 45ᵉ Congrès de l’AIMF 2025, qui s’est tenu à Hué (Vietnam) du 27 au 30 avril 2025, le Dr NGUYEN Thai Huyen a participé à une réflexion collective sur le patrimoine, le tourisme durable et la résilience climatique dans cette ancienne capitale impériale.
Hué, avril 2025. Une ville où résonnent les mémoires impériales et les mutations touristiques contemporaines. C’est dans ce cadre riche de contrastes que s’est tenu le Congrès de l’AIMF 2025, réunissant plus d’une centaine d’élus, praticiens, chercheurs et représentants communautaires de quatre continents. Deux journées intenses où les échanges ont dépassé le cadre technique pour dessiner une interrogation partagée : comment faire du patrimoine – matériel ou immatériel – une ressource vivante au service d’un développement équilibré ?
Des tensions révélées, des imaginaires à reconstruire
La confrontation entre attractivité touristique et préservation patrimoniale est apparue comme une tension omniprésente. Dans les expériences présentées (de Bordeaux à Rabat, de Hué à Cap-Haïtien), la montée en puissance des flux touristiques s’accompagne d’effets ambivalents : gentrification, marchandisation culturelle, pression foncière. Derrière les chiffres de fréquentation, c’est toute une écologie sociale qui se fragilise. Peut-on encore protéger sans figer ? Valoriser sans dénaturer ? Les réponses institutionnelles, souvent sectorielles ou normatives, peinent à capter les subtilités des usages locaux. C’est donc à un renversement de perspective que plusieurs intervenants ont invité : considérer le patrimoine non pas comme un objet à conserver, mais comme un processus relationnel, capable de mobiliser les communautés, d’activer des mémoires multiples, de structurer des récits partagés.
Des expériences ancrées et des approches transversales
Les cas de Luang Prabang, Érévan ou Victoria montrent que des alternatives sont possibles : zonages différenciés, gestion participative, liens avec les universités locales, innovations dans la gouvernance. À Casablanca ou Dschang, des politiques ambitieuses mêlant inventaire, réhabilitation, transmission des savoir-faire ont montré que l’investissement dans le vivant – dans l’humain – reste le levier le plus pérenne. Autre point fort : la place donnée à la culture vivante – rituels, fêtes, expressions populaires – comme facteur de différenciation touristique. Ces formes culturelles ne relèvent pas du folklore, mais bien d’une énergie sociale capable de recréer du lien, du sens et de la continuité. Elles incarnent cette dimension du patrimoine comme moteur de développement territorial, et non comme simple décor.
Pour une stratégie expérimentale et coopérative
Ce que le Congrès a mis en lumière, c’est la nécessité d’un changement de paradigme : sortir d’une logique descendante pour adopter des méthodes expérimentales, coopératives et sensibles aux contextes. L’idée d’un “modèle pilote” a émergé, non pas comme modèle unique, mais comme mécanisme d’ajustement, d’apprentissage et de coproduction territoriale. Cela suppose de valoriser les savoirs locaux, d’impliquer les jeunes, de renforcer les capacités, mais aussi de documenter les pratiques. Car le patrimoine se vit autant qu’il s’administre. Il ne saurait être durable sans les habitants, ni désirable sans les récits qu’ils portent.
Conclusion ouverte : du commun à construire
Au final, ce qui se dessine à travers les regards croisés de Hué, Dakar, Québec ou Brazzaville, c’est l’émergence d’un nouvel humanisme urbain, où la ville patrimoniale devient un laboratoire de cohabitation, d’inclusion et d’innovation. Les défis sont nombreux – de la pression foncière à la crise climatique – mais les ressources sont là : dans les alliances, les réseaux, les expérimentations locales. Faire vivre le patrimoine, c’est donc ne pas l’enfermer dans le passé, mais l’ouvrir aux avenirs possibles. Ce Congrès l’a démontré avec force : les collectivités sont prêtes, les communautés engagées, et les ponts sont à bâtir.