Décentralisation : ne plus se payer de mots…

Sur l’échelle de mesure des malheurs, la mise à distance des autorités qui décident envers les théâtres de leurs décisions produit des résultats impeccablement constants. Présentée comme une manière d’y remédier, la décentralisation fait partie de ces marronniers des réformes politiques dans nombre de pays, en Europe, et l’on pense volontiers à la France, mais aussi en Afrique en particulier dans l’espace francophone.

Présentée aussi comme la recherche d’une meilleure efficacité du fonctionnement des institutions en lien avec l’application du principe de subsidiarité et comme une volonté d’amélioration du fonctionnement démocratique autour de la consolidation de la culture de la participation citoyenne à la gestion des affaires publiques, notamment dans les domaines de la planification et de de la gestion urbaine, propres aux démocraties, cette affirmation du « centre » d’accepter de se délester d’une partie de ses pouvoirs au bénéfice des autres collectivités territoriales du pays n’en est pas moins diversement mise en œuvre.

 Il y a d’une part une manière différenciée de réorganiser la répartition des pouvoirs et les capacités d’initiatives. Par exemple, quelle part peut être allouée à des ensembles régionaux et quelle part revient aux villes en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire par exemple ? Quelles fonctions peuvent-être prises en charge à l’échelle locale, comme la santé, l’habitat, le développement économique, la gestion du foncier, la protection et la valorisation de l’environnement et de la biodiversité, et parfois quelques fonctions régaliennes comme la police ou la justice ? Parfois, c’est aussi une capacité de planification, d’engagement à long terme qui peut être envisagée. Et, d’expérience, c’est dans les domaines de l’aménagement, de l’urbanisme, de la gestion du foncier qu’il est indispensable que l’échelle locale soit fortement mobilisée et mise en responsabilité d’agir. Mais parfois, la décentralisation n’existe que dans les mots, d’autant plus répétés qu’ils ne traduisent dans les faits aucune évolution réelle dans le partage des compétences.

Il y a pourtant de nombreuses raisons de mobiliser davantage toutes les échelles d’un territoire : d’une part, l’expérience démocratique réclame son approfondissement régulier, donc une inclinaison régulière vers davantage de concertation locale en particulier en matière d’identification, de planification, de conception et de gestion des projets urbains. Ensuite, il nous faut compter, partout sur la planète, sur une population plus éduquée et ouverte sur le monde, qui n’entend plus seulement suivre aveuglément les instructions qui lui sont données. Enfin, et peut-être surtout, la complexité du monde réclame des réponses précises, par la connaissance des enjeux généraux, mais aussi par la connaissance des territoires. Or, cette diversité des contextes et des acteurs qui animent les territoires participe manifestement des encouragements à laisser les actions se mener à l’échelon local, conformément aux objectifs fixés par l’Agenda du Nouvel Ordre Urbain (HABITAT III), notamment l’Objectif de Développement Durable n°11 « Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouvertes, surs, résilientes et durables ». Ainsi, comment maîtriser les usages du foncier, promouvoir la modération et veiller aux conditions d’accueil de toutes les populations si les élus locaux ne peuvent agir ?

Mais pour qu’il puisse y avoir transformation des usages territoriaux, encore faudrait-il que les actions de concertation n’en restent pas aux intentions mais contribuent au développement. Et lorsque les principes et les réalités de la décentralisation sont mis en œuvre, il faut encore que les collectivités locales qui reprennent des compétences exercées par l’État disposent en contrepartie des moyens, tant en ressources humaines, en expertises qu’en ressources financières.

C’est pourquoi il ne saurait y avoir de réelle décentralisation sans véritable prise en compte des conditions réelles de succès. Il y a tout d’abord, la reconnaissance des acteurs locaux dans leur capacité de gérer le territoire à leur échelle, de maîtriser les enjeux de développement, de coordination sociale, de maîtrise des impacts environnementaux, il y a ensuite, la maîtrise des moyens permettant de mener efficacement les politiques dévolues… En effet, trop souvent les États centraux cèdent des responsabilités aux villes et autres collectivités locales, sans leur transférer toutes les ressources nécessaires à l’accomplissement efficace de leurs nouvelles missions. Enfin, dès lors que les compétences des collectivités locales se trouvent reconnues, n’est-il pas temps que ces dernières deviennent des interlocuteurs majeurs pour les institutions et autres partenaires techniques et financiers internationaux en particulier ?

C’est tout le sens des travaux des groupes de plaidoyers multi-acteurs (élus et cadres territoriaux, parlementaires, représentants de l’État central, chefs d’entreprises, société civile, journalistes) établis par les villes et les collectivités territoriales membres de l’Association Internationale des Maires Francophones (AIMF) dans le cadre de son Partenariat stratégique avec l’Union européenne. Articulés autour : des « finances locales », du « statut de l’élu local et de la fonction publique territoriale » ; des « services essentiels (eau, assainissement, déchets) » ; du « rôle des villes contre les changements climatiques » ; de la « localisation des Objectifs du développement durable (ODD) », les résultats desdits travaux dans les pays d’Afrique francophone en particulier ont permis de connaitre des avancées significatives en matière de décentralisation par la levée de diverses barrières administratives, règlementaires et financières, contrariant son épanouissement.

Autrement dit, travailler à la décentralisation des États, ce n’est pas les fragiliser dans leurs missions mais à l’inverse, leur permettre d’apporter plus justement les réponses attendues à tous les défis, en recherchant toujours la bonne échelle d’action conformément au principe cardinal de subsidiarité.

Jean YANGO, Économiste, Urbaniste, Président de l’Assemblée Générale de l’Ordre National des Urbanistes au Cameroun.
Lionel PRIGENT, Urbaniste et Économiste, Professeur à l’Université de Bretagne Occidentale, Directeur du Laboratoire de Géoarchitecture Brest
Alors que le monde doit organiser sa transition vers un développement plus respectueux des personnes mais aussi des ressources de la planète et de sa biodiversité, comment penser et construire les villes ? La tribune Urbanisme en Francophonie, publiée une fois par mois, vise à rassembler les témoignages et les réflexions  de ce récit original.

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