Rachel Khan, actrice, écrivaine et juriste française

Réalisés avec différentes personnalités francophones (écrivains, intellectuels, acteurs de la fabrique de la ville, artistes…), les entretiens Urbanisme en Francophonie interrogent le lien entre urbanisme et francophonie pour faire ressortir les spécificités des villes francophones et leur apport pour construire la cité de demain. A la fin de chacun d’eux, nous découvrirons une nouvelle carte postale de l’espace francophone proposée par l’interviewé.

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© Antoine Feuer / Rachel Khan, est une actrice, écrivaine et juriste française née le 25 janvier 1976 à Tours d’un père gambien, professeur d’anglais en université, et d’une mère française d’origine juive polonaise, exerçant le métier de libraire. Rachel Khan est aujourd’hui comédienne et a été athlète de haut niveau durant sa jeunesse (ancienne championne de France du 60 mètres en salle, du 4X100m et vice-championne de France du 80 mètres en 1995). Laissant de côté à la fois l’athlétisme et le hip-hop, elle étudie ensuite à l’université Panthéon-Assas, où elle obtient un DESS de droits de l’homme et droit humanitaire puis un DEA en droit international. Elle est devenue juriste (spécialisée en droit public et droit international des droits fondamentaux), et a été conseillère à la culture de Jean-Paul Huchon en Île-de-France jusqu’en 2015, avant de commencer une carrière d’actrice puis d’écrivaine, notamment avec premier roman d’inspiration autobiographique, « Les Grandes et les Petites Choses », en 2016. En 2018, elle participe à l’ouvrage collectif « Noire n’est pas mon métier », qui met en lumière le racisme et les stéréotypes dont sont victimes les actrices noires et métisses en France. En 2021, elle publie un essai intitulé « Racée » (Éd. de l’Observatoire), qui pose un regard critique sur notre époque idéologisée qui interdit toutes formes de nuances. Elle estime que des termes comme « racisé », « intersectionnalité » ou « afro-descendant » sont des mots qui nous cloisonnent dans un récit assez figé. L’ouvrage profite d’une large médiatisation et reçoit le prix du Livre politique, du prix national de la laïcité et du prix des droits de l’Homme.

Le rapport de Rachel Khan à la francophonie est double, c’est d’abord une langue et ensuite une organisation mondiale. Elle définit la langue française comme la langue de ses émotions, une langue charnelle et créative qu’elle associe au sport et à la danse chorégraphiée mais aussi la langue de la réparation, car elle incarne les souffrances passées.

Selon elle, la langue française permet d’entrer dans ce dialogue en harmonie avec les différents accents du monde, qu’elle a la chance d’entendre dans sa famille et qui construisent son identité. Née en France, le français est sa langue maternelle mais c’est, en réalité, le fruit du rapport de son père à la lecture de la langue française.

“J’ai une filiation Sénégal-Gambie du côté de mon père mais aussi ethnique, car mon père est de l’ethnie de Senghor, donc le lien avec la francophonie est extrêmement fort. La langue française, même si cest ma langue maternelle puisque je suis née en France, cest malgré tout le récit vraiment de mon père, cestàdire de la Sénégambie. Mon père à un rapport à la langue quil ma transmis et au fond ma langue maternelle, je peux considérer que cest ma langue paternelle. Je n’ai pas plusieurs identités, j’ai une signature avec laquelle j’essaye de découvrir plusieurs aspects au jour le jour. Cette identité n’est pas une figée, c’est une identité que j’appréhende dans un mouvement.

C’est la langue avec laquelle elle écrit aujourd’hui car elle est riche et singulière à la fois et permet l’enrichissement des humanités et de la pensée :

“Quand on comprend ce qu’est la liberté, la liberté d’expression et la liberté de création et bien ça permet de se dessiner aussi plusieurs récits et c’est ce que j’essaye de faire au quotidien. C’est comme ça que je travaille notamment dans l’écriture avec ces différents accents. Je les ai appris dans ma famille ces différents accents d’Afrique, d’Europe, d’Amérique du Nord aussi car j’ai certains membres de ma famille qui habitent à Québec”.

Voici sa définition de la francophonie :

“La francophonie a été créée pour sortir d’un K-O et pour sortir de douleurs passées. La créolisation, c’est comment on fait pour s’ouvrir aux autres grâce à cette chance d’avoir la même langue, dans différentes villes et dans différents pays, et d’arriver à se comprendre dans ce dialogue-là et grâce à ce lien, de lieux à lieux, on peut retisser quelque chose qui recoud nos humanités”.

Pour Rachel Khan, on est dans l’universalité de notre complexité à travers cette langue française et pas du tout dans la mondialisation.

On a une langue qui circule, avec laquelle on peut se comprendre mais avec une singularité propre dans chaque ville à travers le monde. Et c’est ce qui enrichit nos humanités, c’est-à-dire que c’est une langue qui élargit à chaque fois la pensée et notamment quand on se retrouve dans des villes extrêmement différentes. Elle pousse toujours à la réflexion à travers la langue mais autrement, en fonction du sol où on est. C’est une langue qui raconte quelque chose de politique, d’ouverture et effectivement je trouve que les villes francophones doivent travailler sur cette ouverture-là”.

Selon elle, l’universalisme c’est mettre l’humain au centre notamment dans les projets d’aménagement du territoire.

“Remettre le désir au centre de la ville, c’est pour moi fondamental parce que le désir, c’est ce qui permet le mouvement, c’est ce qui permet la circulation, c’est ce qui permet la respiration et c’est ce qui permet la vie au fond. Lorsque chacun sera en responsabilité par rapport à l’universel chacun pourra participer à ce projet universel. Cela renvoie à cette manière d’appréhender l’aménagement du territoire et l’individu, avec au cœur le patrimoine de cette langue qui renvoie à des questions de liberté, d’égalité, de fraternité, de dialogue, de rencontre et d’équilibre. C’est une langue complexe mais c’est une langue assez équilibrée au fond et qui dans l’urbanité se perçoit : espaces verts, densité, espaces périurbains, espaces agricoles…”.

Elle considère qu’il faut garder le fait que les discours ne soient pas tous les mêmes et qu’il faut à travailler les singularités intimes et les singularités de ce que les personnes ont à apporter pour à cet universalisme-là.

“C’est très important de permettre les différences. Pour moi, les frontières par exemple sont importantes car elles vont créer le désir d’aller vers l’autre, cette séparation qui vous donne envie. Si on a plus des espaces intimes, si notre espace est heurté, on n’a pas forcément envie d’aller vers l’autre. Je pense que dans la ville et au niveau mondial, c’est la même chose”.

La particularité de la langue française est d’avoir des mots qui signifient plusieurs choses à la fois et les récits français illustrent selon elle parfaitement cette langue :

“La langue et les mots de la langue française, avec la multitude de définitions qu’ils ont, c’est quand même une singularité mais aussi une particularité qui est complexe pour les gens qui ne parlent pas français, c’est d’avoir des mots qui signifient plusieurs choses à la fois”.

Elle associe le récit des romans, les récits de nos vies et les récits des villes francophones, comme étant en résonance avec cette complexité.

“Je trouve que nos récits français illustrent parfaitement cette langue, c’est-à-dire qu’ils sont à la fois singuliers tout comme nos viles françaises et nos villes francophones qui le sont encore plus à travers le monde. Entre les récits des romans, les récits de nos vies et les récits des villes, il y a une forme de résonance de cette complexité-là”.

Il appartient aux Maires d’agir sur l’étymologie des quartiers pour préserver le patrimoine et éviter les quiproquos relatifs aux appellations.

Je trouve que lon pourrait peutêtre agir sur létymologie des quartiers, ce que cela signifie en français mais aussi dans lhistoire mondiale parce que bien souvent, on a des quartiers qui ont des histoires internationales, qui se retrouvent dans un mot en français. Donc, à mon avis, les Maires pourraient porter ce patrimoine de la langue, de leur quartier, des noms, des lieuxdits pour qu’on puisse mieux comprendre ceux qu’ils signifient en français. Tout cela militerait justement pour une meilleure compréhension du monde et surtout pour qu’il n’y ait pas de quiproquos. Le français peut amener, si l’on n’a pas le mot juste, à des quiproquos mais la ville peut faire en sorte qu’il y en est de moins en moins dans les appellations”.

L’autre conseil qu’elle donnerait aux Maires, c’est de soutenir véritablement la prise de risque artistique.

“Un artiste se met forcément en danger tout comme un projet d’aménagement du territoire. Au fond un artiste comme une ville, ce n’est pas du copier-coller, et l’un comme l’autre ont cette fragilité-là, de travailler sur des champs inexplorés. La spécificité en France, voire même au niveau européen, cest lexception culturelle, le fait que les artistes peuvent être soutenus par les collectivités territoriales, ce qui nest pas le cas dans tous les pays. Je pense quil faut valoriser non pas les dispositifs artistiques mais parfois les projets artistiques plus singuliers qui vont vers la prise de risque“.

Enfin, elle aurait un dernier conseil relatifs aux jumelages.

Jadorerai quau niveau des jumelages, on puisse accélérer les choses pour que les voyages puissent se faire notamment des pays européens vers lAfrique afin quil y ait cette résonance et cette connaissance de ce qui peut se passer ailleurs quen Europe”.

 

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