Héloïse Conesa, conservatrice du patrimoine et chargée de collection en photographie

Réalisés avec différentes personnalités francophones (écrivains, intellectuels, acteurs de la fabrique de la ville, artistes…), les entretiens Urbanisme en Francophonie interrogent le lien entre urbanisme et francophonie pour faire ressortir les spécificités des villes francophones et leur apport pour construire la cité de demain. A la fin de chacun d’eux, nous découvrirons une nouvelle carte postale de l’espace francophone proposée par l’interviewé.

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© Antoine Feuer / Héloïse Conesa est conservatrice du patrimoine et chargée de collection en photographie. Chargée de la collection de photographies contemporaines au département des Estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France (BnF) depuis 2014, elle a été co-commissaire de plusieurs éditions de la Bourse du Talent de 2014 à 2019 ainsi que des expositions “dans l’atelier de la mission Photographique de la DATAR” (Rencontres d’Arles, 2017) et “Paysages français : une aventure photographique (1984-2017)” (BnF, 2017). Elle a également été commissaire à la BnF de l’exposition “Denis Brihat, de la nature des choses” (2019), “Ruines, Josef Koudelka” (2020)”, “Ce monde qui nous regarde : les 15 ans de l’agence NOOR” (2022). Elle fait également partie au sein de la BnF du comité de pilotage de la grande commande à l’intention des photojournalistes initiée par le ministère de la Culture : “Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire”.

Héloïse Conesa regarde la francophonie sous l’œil de la photographie, son domaine d’expertise. Son rapport à la francophonie est assez diversifié dans son champ professionnel et son domaine d’expertise qu’est la photographie, puisque elle travaille au sein d’une bibliothèque et qui dit bibliothèque, dit aussi encyclopédisme et universalisme.

La francophonie selon elle se déploie dans la spécificité de cette terminologie et de ce langage commun à plusieurs pays mais aussi en dialogue avec d’autres aires (l’air anglophone, sinophone, italophone, germanophone…).

Mon rapport à la francophonie en tant que Commissaire d’expositions et aussi Conservateur en charge des acquisitions est double. Bien évidemment, je regarde l’air francophone européenne (Belgique : Gilbert Fastenaekens et Jean-François Spricigo) mais aussi d’Afrique du Nord (Maroc : Hicham Gardaf). Grâce aux réseaux des résidences, aux ateliers photographiques et aux travaux d’éditeurs francophones, on a la possibilité de découvrir des photographes d’Afrique subsaharienne tels que Fatoumata Diabaté (Mali) et Philong Sovan (Cambodge). La francophonie c’est à la fois la question de la spécificité et aussi celle d’un élargissement des horizons. On est sur une logique double, à la fois la singularité et aussi ce qui relève du partage de communs, forcément cette mise en relation entre ces deux champs, provoque une sorte de complexité du monde et de l’approche de l’espace”.

Selon elle, le dialogue entre les espaces francophones peut se faire par le biais du créatif et de l’artistique, notamment au travers des résidences photographiques organisées dans l’espace francophone.

“Résidences, prêts d’œuvres pour des expositions, collaborations possibles par les festivals photographiques (festival portrait à Vichy, rencontres d’Arles…), diffusion d’expositions, institutions, galeries, sont autant de moyens qui permettent de montrer les diversités d’écritures francophones et de découvrir et de faire circuler les œuvres photographiques au sein de la francophonie. Par exemple, la Gaspésie au Canada accueille un certain nombre de résidences de photographes, qui accueille des photographes français qui vont travailler sur des paysages canadiens ; les rencontres photographiques de Phnom Penh au Cambodge dirigées par Christian Caujolle invitent les photographes français à collaborer avec des photographes Cambodgiens et les expositions et le réseau des instituts culturels français permettent de mettre en place ce dialogue francophone avec à chaque fois la possibilité de garder les singularités liées aux pays d’origine des locuteurs francophones”.

Pour elle, la photographie et l’urbanisme sont liés car les images permettent de conserver la mémoire des lieux et la diversité architecturale notamment grâce aux archives photographiques mais aussi d’apporter une vision prospective en jouant avec l’imaginaire urbain.

“Il me semble quand même que la ville telle qu’elle est vue par les photographes francophones est une sorte d’ouvroir potentiel de l’urbanisme. La photographie bien évidemment est un moyen d’enregistrer ce qui se fait et ce qui s’est fait en matière d’urbanisme dans la cité mais il y a aussi une dimension prospective dans la photographie. Quand nous avions fait avec Raphaële Bertho, l’exposition « Paysages français, une aventure photographique 1984-2017 », nous avions à cœur de montrer dans la dernière partie consacrée à ce collectif de photographes « France Territoire Liquide », la diversité des écritures et la possibilité pour les photographes de jouer avec cet imaginaire urbain”.

Il lui semble que cette complexité dans l’approche de la ville et de l’espace urbain, comme étant un lieu ouvert et de rencontre pour reprendre l’expression de Patrick Chamoiseau, est quelque chose qui à son avis intéresse beaucoup les photographes francophones.

“C’est quelque chose que l’on retrouve par exemple chez un photographe montréalais comme Serge Clément, qui avait exposé la série « Dépaysé », à l’Institut canadien en 2014. On voit que dans la construction du travail on est sur quelque chose d’assez complexe avec une mise en dialogue de l’espace urbain et de l’espace interstitiel. On a cette cette résistance du végétal dans l’urbain, quelque chose que l’on voit beaucoup dans les projets architecturaux, concilier l’ultra connecté et l’ultra urbain à quelque chose qui relève du sauvage et d’une liberté naturelle. Cette idée-là, on la retrouve aussi chez un jeune photographe marocain, Hicham Gardaf, qui a fait plusieurs séries, et notamment une série qui s’appelle « The red square » (2016), qui parle de l’espace périphérique de Tanger et qui dans sa forme d’abstraction interroge l’idée d’un entre-lieux. C’est intéressant de voir que cette réflexion, qu’on soit au Québec ou au Maroc, invite à poser la question de l’interstice et de ses potentialités dans le dialogue entre le centre et la périphérie. Ça interroge donc sur cette vision francophone de l’espace urbain”.

Au regard de la conservation de l’identité urbaine, les archives photographiques sont importantes car elles permettent de préserver la mémoire de ce qui s’est fait en matière d’urbanisme et de diversité architecturale, les accomplissements et les échecs.

“Les archives photographiques sont diversifiées. La BnF a au cœur de ses collections aussi un grand champ lié à la représentation du paysage, à la fois comme genre iconographique mais aussi comme notion complexe, que les photographes abordent de différentes façons. La série Paris-Delhi du photographe Frédéric Delangle montre le métissage de la ville Parisienne dont il a fait repeindre les photos de Paris par des peintres de Delhi mettant ainsi en avant une forme de cosmopolitisme dans la photographie”.

Selon elle enfin, l’une des spécificités francophones, ça serait de mettre en valeur la question de l’habitant ou de l’habité plus que dans d’autres approches.

“La question des usages de l’espace urbain est quelque chose qui est très important chez les photographes francophones et que la photographie permet de mettre en valeur. Sur la représentation de la pandémie, l’un des motifs iconographiques qui étaient le mieux partagés c’était les rues vides, ce qui interroge la question de la ville devenue décor vide en quête de ces personnages et de ses habitants, donc là encore on retrouve l’importance de la question de l’habité. Les photographes partagent avec le poète Hölderlin, cette injonction d’habiter poétiquement le monde”.

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